Relations arabo-israéliennes, les soubresauts de la paix (par Scarlett Haddad) – Nouveau Magazine numéro 1329 du 22 janvier 1983

Arabie Saoudite, Armée Egyptienne, Armée Israélienne (Tsahal), Armée Jordanienne, Armée Libanaise, Armée Syrienne

Entre les arabes et Israël, c’est une longue histoire de haine, de guerres et de trêves. Depuis ce fameux 14 mai 1948 où les juifs ont proclamé l’indépendance de l’Etat hébreu, les relations israélo-arabes continuent à se nouer dans le sang et la rancœur. S’il y a eu plus souvent des trêves tacites que de véritables accords d’armistice, ceux-ci existent pourtant, même s’ils sont aujourd’hui dépassés par les événements.

En 1949, dans un hôtel de Rhodes devenu, depuis, lieu historique, les délégués israéliens ont signé des accords d’armistice avec les égyptiens d’abord (le 24 février), les libanais ensuite (le 23 mars), les jordaniens (le 3 avril) et les syriens (le 20 juillet) enfin. Mais jamais avec les palestiniens. C’est là d’ailleurs que réside le fond du problème. C’est ce qui rend la paix aussi précaire dans cette région du monde.

A l’heure où le Liban s’engage dans le courant irréversible de la « normalisation », avouée ou cachée, nous avons cherché à fouiller un peu un passé malheureusement pauvre en expériences pacifiques.

 

En ce mois de mai de l’année 1948, un climat de guérilla règne en Palestine. Le partage de ce pays (en une région arabe et une autre juive) a été décidé le 29 novembre 1947, mais c’est surtout la proclamation de l’indépendance de l’Etat d’Israël, le 14 mai, qi met le feu aux poudres. D’autant plus que, quelques jours auparavant, le 9 avril, les extrémistes des groupes Stern et Irgoun massacrent 250 palestiniens à Deir Yassine. Du côté arabe, on déclare la guerre sainte contre Israël, une guerre constamment ouverte, d’ailleurs, puisqu’il en est régulièrement question dans presque tous les sommets arabes.

En 1948, le combat semble inégal. D’un côté 100000 soldats, et de l’autre à peine 60000. Et pourtant… le fameux slogan « dans une semaine à Tel-Aviv » ne sera bientôt plus qu’un rêve aussi vain que cruel. Déjà, les « frères arabes » ne s’entendent guère, chacun poursuivant son propre but et veillant à ses intérêts personnels. Tout se joue autour de Jérusalem. Les arabes se maintiennent dans la vieille ville, alors que les israéliens s’installent dans la nouvelle ville.

On aurait pu en rester là, dans une guerre longue et épuisante autour de quelques kilomètres carrés, mais l’Occident, se sentant coupable envers les juifs, dépêche sur place le comte Folke Bernadotte, avec pour mission de trouver une solution (favorable à Israël) au problème. L’émissaire occidental (le Philip Habib d’alors, en quelque sorte) installe son quartier général à Rhodes, à l’Hôtel des Roses.

Au bout d’épuisants entretiens, bi et multilatéraux, le comte Bernadotte réussit à faire signer un cessez-le-feu à toutes les parties. Dès lors, tout le monde se prépare à une nouvelle lutte. Bernadotte s’attire les haines des extrémistes des deux bords et, le 17 juillet, il est tué à Jérusalem. Le Dr. Bunche le remplace aussitôt, alors que dans la ville sainte à plus d’un titre, les combats se poursuivent. L’Occident ne fait pas grand-chose pour les arrêter, tout occupé à attendre l’issue des élections présidentielles américaines. Dès que Truman est élu, les négociations reprennent. En position très difficile, les arabes réclament l’arrêt des combats.

Le 12 janvier 1949, moment historique et qui ne se reproduira pas de sitôt, arabes et israéliens se réunissent autour d’une table ronde, sous la direction du Dr Bunche, à Rhodes. L’un après l’autre, l’Egypte, le Liban, la Jordanie et la Syrie signent avec Israël un traité d’armistice précis où, cartes à l’appui, les positions militaires sont clairement définies. C’est alors la première fois qu’arabes et israéliens s’assoient à la même table. Pour l’Occident, le moment est idyllique. Il a enfin bonne conscience : non seulement il a effacé sa faute avec les juifs, mais il croit avoir réussi à faire accepter la paix. C’est oublier que, surestimant leur véritable force ou leur véritable cohésion, les arabes n’acceptent pas facilement cet armistice qui a pour eux des relents de défaite. C’est oublier aussi que, par cet « arrangement », des milliers de palestiniens sont désormais sans toit.

Un jeune homme de 19 ans commence déjà à créer des noyaux de résistance. Il s’appelle Yasser Arafat…

En dépit donc des accords d’armistice, les arabes refusent de reconnaître l’Etat d’Israël. Ils sont plus que jamais sûrs de détruire un jour cet Etat artificiel venu s’édifier sur leur terre sacrée. Ils s’organisent militairement, mais reçoivent leur premier coup en 1956, lors de la guerre de Suez. Profitant de l’intervention franco-britannique, Israël opère une percée dans le Sinaï. C’est la poigne d’Eisenhower qui le contraindra à se retirer. D’ailleurs, dans ses Mémoires, Henry Kissinger déclare à ce propos : « C’est là une faute qui ne doit jamais se répéter ». Autrement dit, les Etats-Unis doivent toujours appuyer totalement Israël…

Contraints donc d’évacuer le Sinaï, les israéliens n’en continuent pas moins à se préparer pour un nouvel affrontement avec les arabes. De leur côté, ceux-ci ne perdent pas l’espoir de donner un jour une leçon décisive aux israéliens. D’abord président de la fédération des étudiants palestiniens, Yasser Arafat crée bientôt un mouvement révolutionnaire pour la libération de la Palestine. Mais il s’agit de savoir quel nom lui donner. Normalement, il aurait fallu l’appeler Hatf (Harakat Tahrir Falastine), mais en arabe, cela signifie mort et ne peut donc s’accorder avec le but d’un tel mouvement. C’est pourquoi un comité présidé par Yasser Arafat décide d’inverser le mot. Ainsi, en 1962, naît véritablement le Fath. Ce mouvement est tout d’abord clandestin. Il faudra attendre le 31 décembre 1964 pour qu’il signe sa première mission : piéger la station de pompage qui alimente en eau potable le kibboutz d’Oum al-Kotton, en Judée.

Dès lors, la situation ne cessera de s’envenimer. Des deux côtés, on renforce l’arsenal militaire. Jusqu’au 4 juin 1967. Ce jour-là, l’ambassadeur soviétique en Egypte se rend chez Abdel-Nasser et lui confie qu’Israël prépare une attaque de grande envergure contre les pays arabes. Le président égyptien réagit aussitôt en contactant le secrétaire général des Nations Unies, U Thant, lui demandant de retirer ses observateurs du Sinaï afin qu’ils ne soient pas les victimes de l’attaque israélienne. U Thant, à son tour, contacte les responsables israéliens qui considèrent la démarche du président égyptien comme une attaque directe contre eux et une véritable ouverture des hostilités. Ne supportant pas ce genre de provocation, Israël lance alors sa célèbre offensive, le 5 juin 1967. En quelques jours, voire quelques heures, Tsahal occupe toute la Palestine, le Sinaï, les collines du Golan et 27 villages du Liban-Sud, dont personne d’ailleurs, excepté Raymond Eddé, ne parle.

Pour les arabes, c’est une défaite cuisante. Pour laver l’affront, ils sont contraints de durcir le ton et les positions. Abdel-Nasser présente sa démission. Mais le peuple égyptien, excité à souhait, le rappelle, c’est le cas de le dire, à cor et à cri. Pour remercier les « jamahir », Abdel-Nasser leur promet de reconquérir le Sinaï. Il lance ainsi son fameux slogan : « Ce qui a été pris par la force ne peut être repris que par la force ».

Le Conseil de Sécurité de l’ONU tente désespérément de calmer les esprits. Les anglais (encore eux), par le biais de leur représentant lord Carradon, proposent une résolution volontairement vague qui prévoit le « retrait israélien des territoires occupés ». Cette résolution est adoptée. Elle porte désormais un numéro célèbre : c’est la « 242 ». Si elle est assez nuancée pour être acceptée par tout le monde, cette résolution n’en suscite pas moins des discussions byzantines à propos de son interprétation. Pour les arabes, il s’agit d’un retrait de tous les territoires occupés, alors que pour les israéliens, le texte de la résolution ne le précise nullement.

Entre les deux parties, le fossé se creuse de plus en plus et les contacts ne s’établissent que par le biais de l’ONU. Abdel-Nasser meurt et Sadate adopte son vieux rêve : reconquérir le Sinaï. C’est donc lui qui lance l’offensive de la guerre d’octobre 1973, surnommée « la guerre de la traversée du canal de Suez ». Les égyptiens reprennent donc le canal. Mais Sharon (déjà lui) les encercle suivant la tactique devenue célèbre du « déversoir ».

Un cessez-le-feu, sous l’égide des Nations Unies toujours, est signé. Pour la seconde fois depuis 1949, arabes et israéliens s’assoient à la même table, à Genève. Des négociations sont entamées. Si, entre les syriens et les israéliens le fossé est toujours aussi profond (on aboutit à un compromis : Kuneitra, la capitale du Golan, est libre, mais tout autour, les positions militaires demeurent), entre égyptiens et Israël, le ton baisse. Les négociations du « km 101 » commencent et on parvient à s’entendre sur un protocole d’accord derrière lequel se profile déjà le traité de Camp David. Mais tout cela se fait en douceur et en secret. Parce qu’officiellement, aux sommets arabes de Khartoum et de Rabat, en 1974, la violence est de rigueur. Les frères lancent les fameux « trois non : non à la reconnaissance d’Israël, non aux négociations, non à la paix ». Par contre, ils reconnaissent l’OLP comme le seul représentant du peuple palestinien. Mais déjà, une profonde scission se dessine. Désormais, il y a les modérés avec à leur tête l’Egypte, et les extrémistes. Ce schisme ne cessera de s’accentuer lors du sommet de Bagdad en 1978, et il éclatera en 1979 avec la signature des accords de Camp David.

Pour la lutte armée arabe, c’est le coup de grâce. Les arabes se sentent trahis par l’Egypte et amputés de leur principale force. Ils ont beau multiplier les menaces, ils savent désormais qu’il ne peut plus être question d’obtenir un retrait israélien des territoires occupés par la force. Tout comme ils sont convaincus qu’ils ne pourront obtenir la paix sans en payer le prix.

L’Arabie Saoudite prend la tête des « modérés » ou, pourrait-on dire, des « réalistes ». Une nouvelle politique arabe se dessine vis-à-vis d’Israël, qui se concrétise par le fameux plan Fahd dont le point 8 reconnaît implicitement l’existence de l’Etat d’Israël. Poussés par les syriens, les palestiniens refusent ce point. Ils ne veulent pas reconnaître Israël avant d’être sûrs d’avoir leur Etat. ils perdront un peu de leur superbe lors de l’invasion israélienne du Liban.

L’OLP traverse alors une crise grave et le sacro-saint pouvoir de Yasser Arafat est remis en question. Les arabes eux-mêmes, dans leur appui à l’OLP, n’ont plus cette foi et cette conviction qui ont fait longtemps illusion. Au cours du dernier sommet de Fès (septembre 1982), les arabes parlent un tout nouveau langage et proposent un plan de solution globale pour la région. S’il n’est pas encore acceptable pour Israël, il n’en constitue pas moins un pas positif.

Mais aujourd’hui, l’Etat hébreu est en position de force. Il peut ne plus se contenter d’une simple ouverture timide. N’est-il pas le véritable maître du jeu des négociations israélo-libanaises, faisant un jour des concessions qu’il retire le lendemain ? Si ces négociations aboutissent, elles pourront constituer un exemple pour les autres pays de la région. Mais Israël le veut-il vraiment ? Si la position américaine ne fait aucun doute – résoudre rapidement et globalement le problème de la région en créant une confédération jordano-palestinienne –, celle d’Israël est beaucoup moins évidente. Et si l’Etat hébreu ne cherchait qu’à gagner du temps jusqu’aux prochaines élections américaines, afin de se débarrasser de « l’empêcheur de tourner en rond » qu’est Reagan ? Ce dernier n’a plus que trois mois pour réussir ou échouer. Quant aux relations arabo-israéliennes, si elles n’ont jamais été « meilleures », elles ont quand même été plus franches. Mais c’est là un adjectif qu’il faut oublier dans cette région du monde.

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