Syrie-Israël-Liban: « parc de la paix » et conflits sur l’eau (par Georges J. Nasr, in L’Orient-Le Jour du samedi 2 juin 2007)

L'enjeu stratégique de l'eau au Moyen-Orient

L’armée libanaise est confrontée aujourd’hui à un défi existentiel, comme aux jours les plus sombres de notre histoire. Tandis que les pages des quotidiens libanais s’emplissent de spéculations militaires et de polémiques stériles, les experts israéliens et syriens, quant à eux, discutent tranquillement d’un éventuel accord de paix.

Dès janvier 2007, les médias rapportaient des « progrès » sur la voie israélo-syrienne, quand l’homme d’affaires syro-américain Ibrahim Suleyman a annoncé devant le comité des Affaires Etrangères et de la Défense de la Knesset qu’un accord pourrait être atteint « dans un délai de 6 mois », en fonction d’un « non-paper » préétabli.

Bien avant le début des négociations, les lignes générales d’un accord acceptable furent tracées par les planificateurs israéliens vers la fin des années 1980, dans le but de permettre à Israël de consolider légalement les gains considérables obtenus par la force des armes en 1967. En effet, l’Etat d’Israël demeure vulnérable, du fait que près de 70% de ses ressources hydrauliques dépendent de sources se trouvant en dehors du « territoire de 1948 », en Cisjordanie, au Golan et au Liban. De tels « territoires hydrostratégiques » sont d’un intérêt évident pour la politique israélienne, et des analystes tels que Ze’ev Schiff avaient déjà averti qu’en l’absence de coopération pour résoudre « le problème de l’eau », il serait « nécessaire pour Israël de faire tout pour sauvegarder l’accès aux ressources ».

L’urgence s’est fait particulièrement sentir en 1990, du fait même que le processus de Madrid/Oslo devait reposer sur le principe « terre contre paix ». Il ne restait donc plus aux planificateurs israéliens qu’à déterminer les territoires que leur pays pouvait restituer sans pour autant compromettre l’approvisionnement en eau. L’étendue exacte de ces « territoires hydrostratégiques » fut clairement établie en 1991, dans un rapport technique élaboré en collaboration avec Tsahal par Joshua Schwarz et Aaron Zohar, chercheurs au Centre Jaffee d’études stratégiques de l’Université de Tel-Aviv. Dans ce qui devint le rapport « Schwarz-Zohar » ou « Tsahal-Jaffee », les chercheurs ont clairement délimité des « lignes de retrait » dans le Haut Jourdain et en Cisjordanie.

Le fameux « non-paper », annoncé avec éclat en janvier 2007, n’est donc pas nouveau. Une première version du texte avait été en effet publiée dans Haaretz, le 29 août 2004, et il semble avoir été peu modifié depuis.

Un fait remarquable ressort de cet accord: les dispositions d’un « parc » destiné « à l’usage commun des israéliens et des syriens », et qui constituent plus de 30% du texte. Ce « parc de la paix » couvrirait ainsi « une majeure partie du Golan », de façon à garantir aux israéliens l’accès à l’eau du Golan dans l’éventualité d’un retour du territoire à la Syrie. Les dispositions garantiraient à Israël le « contrôle de la gestion et de l’utilisation des eaux », ainsi que le « libre accès au parc », sans besoin de permis syrien (article 6.1). En échange, les syriens devraient obtenir un « visa » journalier qui ne leur permettrait pas toutefois de passer la nuit dans ce parc (article 6.2).

Cet « intérêt pour l’écologie » n’est pas nouveau; une proposition de création d’une « réserve naturelle » dans la vallée du Jourdain est apparue en 2002, dans « Rapport numéro 4 sur le Moyen-Orient » du International Crisis Group. La réserve en question retrace le « territoire hydrostratégique » défini par l’étude « Schwarz-Zohar ». De plus, l’accord proposé établit clairement qu’Israël garderait « le contrôle et l’utilisation des eaux du Haut Jourdain et du lac Tibériade » (article 5.1), et interdit à la Syrie d’entreprendre quoi que ce soit qui puisse « interrompre ou bloquer l’écoulement normal des eaux » (article 5.2).

Quoi qu’il en soit, à part les questions de souveraineté syrienne, les parties concernées ont occulté certains faits régionaux.

En effet, la rivière Hasbani fait partie de ce « Haut Jourdain » dont discuteraient syriens et israéliens. De plus, le territoire du « parc de la paix » incorporerait aussi Ghajar et 20% des fermes de Chebaa. Et finalement, les parties négligent de prendre en compte la géographie syrienne. Privés de l’eau du Golan, les syriens devront compter de plus en plus sur le Yarmouk, ce qui priverait la Jordanie d’une ressource dont elle ne peut se passer.

Les deux parties passent outre des faits établis. Des faits bien têtus.

Gaza, des ressources pétrolières en mal d’exploitation (par Georges J. Nasr, in L’Orient-Le Jour du vendredi 22 juin 2007)

Pétrole

Le résultat immédiat de la rivalité entre le Hamas et le Fateh est, évidemment, une division entre palestiniens, et la partition de ce qui reste de la Palestine entre Gaza et la Cisjordanie. Les conséquences à long terme sont bien plus graves encore: une telle division entre « Fatehland » et « Hamastan » hypothéquerait en effet la viabilité d’un futur Etat palestinien, chaque territoire se privant de l’appui de l’autre quand viendra le temps des négociations sur l’accès aux ressources.

Le territoire de Gaza est pauvre en eau, et se trouve en aval de la zone aquifère côtière. L’accès israélien aux ressources hydrauliques n’a donc pas été affecté outre mesure par le désengagement unilatéral d’août 2005. L’intérêt israélien se trouvait ailleurs, en ce qui concerne Gaza. Les fonds marins le long de la côte de Gaza recèlent en effet d’importantes ressources en hydrocarbures.

L’intérêt israélien pour de telles ressources ne date pas d’hier. Pendant la guerre de 1948, l’interruption par l’Irak de ses exportations via la raffinerie de Haïfa avait eu des répercussions graves en Israël. Vers la mi-Décembre 1948, on estimait même qu’il restait à l’armée de l’air israélienne moins de six mois de réserves en carburant. Israël surmonta cette crise, et parvint à trouver du carburant en recyclant les résidus des réservoirs de Haïfa, avant d’importer du Venezuela, du Bloc soviétique, de l’Iran du Chah… Dès les années 1950, les israéliens s’activèrent à améliorer leur position énergétique de façon durable, et cherchèrent à trouver des ressources locales.

Jusqu’aux années 1990, leurs travaux d’exploration avaient donné peu de résultats, malgré quelques trouvailles « onshore », tel le champ gazier « Zohar », au potentiel de plus de 1.8 km3, et d’autres champs moins rentables, tels que « Gurim » (gaz) et « Zuk Tamrur » (pétrole). Ceci changea dans les années 1990, avec la découverte de champs gaziers exceptionnellement riches « offshore », le long de la côte de Gaza et jusqu’au large de la ville côtière d’Ashdod. Leur capacité totale est aujourd’hui estimée à plus de 90 km3; les réserves des champs israéliens « Mari », « Nir », et « Noa », les plus larges champs exploités à ce jour, seraient de plus de 48 km3. Une étude publiée en 2001 dans la revue du Centre Jaffee d’études stratégiques de l’Université de Tel-Aviv rapportait qu’elles suffiraient à couvrir les besoins domestiques en gaz « des 20 années à venir ».

En l’absence d’un accord territorial final entre israéliens et palestiniens, l’accès de ces derniers aux ressources est loin d’être assuré. En effet, les israéliens insistent pour que Gaza et ses eaux territoriales restent des territoires « contestés » et non pas « occupés ». Du fait qu’ils n’étaient que sous administration égyptienne avant juin 1967, et non pas sous la souveraineté reconnue d’un Etat, leur statut final ne pourrait qu’ « être déterminé par négociations », selon Israël. La compagnie British Gaz avait bien annoncé la découverte du champ « Gaza » à 15 miles nautiques au large de la côte de Gaza, avec plus de 30 km3 de capacité. Mais, confrontées au vide juridique, les compagnies intéressées préférèrent ne pas risquer les 500 millions de dollars nécessaires au développement de l’exploitation de ce champ.

Ainsi, alors que l’exploitation va bon train dans les eaux territoriales israéliennes, et qu’Israël continue d’améliorer sa « position sur le terrain », les champs au large de Gaza attendent toujours d’être exploités. Cette manne fait défaut à une région densément peuplée, où près de 60% des ménages survivent en deçà du seuil de pauvreté, ainsi qu’à un Etat palestinien dont 70% du budget est constitué par les aides internationales.

L’appropriation des ressources hydrauliques par Israël, obstacle majeur à la paix (par Georges J. Nasr, in L’Orient-Le Jour du jeudi 21 juin 2007)

L'enjeu stratégique de l'eau au Moyen-Orient

Quand les territoires palestiniens tombent entre leurs mains, en juin 1967, les israéliens font grand cas du fait qu’aucun Etat palestinien n’avait été créé en Cisjordanie ou à Gaza, ne serait-ce que pour servir de base à une libération éventuelle de la Palestine. La Cisjordanie, notamment, n’aurait auparavant été « sous la souveraineté légitime d’aucun Etat » parce que son annexion du 24 avril 1950 par la Jordanie n’était reconnue que par la Grande-Bretagne et le Pakistan. Pour les israéliens, ces territoires sont donc « contestés » et non pas « occupés », et leur statut peut « seulement être déterminé par négociations ». Israël s’empresse alors d’améliorer sa « position sur le terrain », prouvant ainsi que la politique est, comme la guerre, « une affaire d’expédients ».

La stratégie israélienne se fait rapidement sentir dans la Cisjordanie densément peuplée et aux importantes ressources hydrauliques souterraines. Ainsi, en juin 1967, 80% du bassin du Jourdain tombe sous le contrôle de l’Etat d’Israël, qui double alors ses réserves hydrauliques par rapport à 1948. Les combats font encore rage quand, le 7 juin 1967, l’armée israélienne publie son « ordonnance militaire » numéro 92, transférant toutes les ressources hydrauliques de la Cisjordanie et de Gaza sous autorité militaire. Plus tard, le 19 novembre 1967, l’ « ordonnance militaire » numéro 158 impose l’obtention de permis pour tous les travaux hydrauliques. Le 19 décembre 1968, l’ « ordonnance militaire » numéro 291 déclare que toutes les ressources hydrauliques sont dorénavant la propriété de l’Etat, complétant ainsi la confiscation des puits privés.

Aujourd’hui, l’administration des ressources hydrauliques de la Cisjordanie reste sous contrôle israélien, en application de près de 2000 « ordonnances » et « proclamations » militaires. Le schéma général administratif est conçu en fonction des besoins militaires mais aussi hydrauliques d’Israël. Les colonies et zones d’exclusion « n’ont pas été placées là par accident », comme l’a déclaré l’ancien Premier ministre Ariel Sharon.

D’une part, des zones de « retrait maximal » ont été définies par l’étude « Schwarz-Zohar » en fonction des terrains hydrostratégiques à contrôler (voir L’Orient-Le Jour du 2 juin 2007).

Les études hydrologiques ont en effet permis de délimiter les zones aquifères de la Cisjordanie dans trois secteurs, classifiés selon leur « potentiel de pompage ».

Dans les secteurs A, le pompage est soit impraticable, soit trop coûteux. Ces secteurs s’étendent aux alentours de Hébron ainsi que dans la zone allant de Ramallah au mont Gilboa. Les secteurs B sont des zones à « bas potentiel de pompage », où la profondeur moyenne des zones aquifères est de moins de 200 m et où la perméabilité des sols est trop faible. C’est dans les secteurs C que l’on trouve les zones à « potentiel de pompage élevé ». Des secteurs où l’épaisseur moyenne des zones aquifères peut atteindre les 600 m et où la perméabilité des sols est plus élevée. Les puits creusés dans ces secteurs seraient donc les plus productifs.

D’autre part, des zones militaires ont été définies par le « plan Allon », qui relève essentiellement d’un schéma de mobilisation. Dans le cas d’une guerre, ce plan permettrait aux unités d’active de se déployer rapidement et de contenir un assaut venant de l’Est, donnant ainsi le temps de mobiliser les réservistes pour une éventuelle contre-attaque. C’est dans cette optique que s’inscrit la construction de la « barrière de sécurité », qui vient renforcer ce schéma général d’une frontière « minimale » de fait.

Ainsi, en 2005, les meilleurs puits se trouvaient sous contrôle israélien. Israël s’est ainsi approprié près de 55% du territoire de la Cisjordanie, en particulier les zones C, garantissant ainsi plus de 25% de ses besoins en eau. Mais ce faisant, l’Etat d’Israël réduit un éventuel Etat palestinien à un confetti de Bantoustans asséchés. Les impératifs hydrostratégiques d’Israël paraissent donc comme un obstacle majeur à la paix avec les palestiniens.